- Bonjour, Maxime. Assieds-toi.
- Bonjour, Louis.
- Ton dernier bilan ne me
plaît qu’à moitié. Tu réagis au traitement mais l’évolution positive est très lente.
Comment te sens-tu, Maxime ?
- Très fatigué. C’est long !
Je n’ai pas de nausée et grâce au casque réfrigérant qu’on me met à l’hôpital,
lors des séances de rayons, je ne perds pas trop de cheveux.
- C’est le médecin et pas l’ami
qui te parle. Il va falloir penser à lever le pied. Ta boutique te fatigue
physiquement mais surtout nerveusement. Je comprends parfaitement tout ce que
tu traverses et ressens.
- Louis, ce qui me tracasse le
plus c’est de savoir jusqu’à quand je serai capable de mener la même vie. Je ne
veux ni voir des regards attristés ni entendre des paroles compatissantes.
Cette foutue tumeur ne gagnera que lorsque je serai à bout.
- Je sais que tu attends de
moi de la franchise. Ta tumeur est inopérable, on te l’a dit. Là où elle est
située, dans ton cerveau, on ne pourrait l’extraire sans toucher des zones
essentielles, avec des conséquences irréversibles. Elle grossit, moins vite,
mais elle grossit. Tant qu’elle ne comprime pas trop une zone sensorielle, tout
semble aller bien, ou presque. Mais tu dois prendre tes dispositions.
Pourras-tu recevoir de l’aide et du soutien de proches ? Juliette est une
belle personne qui t’apprécie beaucoup, je crois, et n’est pas insensible à ton
charme.
- Qu’ai-je à lui offrir si ce n’est un corps déglingué et un avenir à court terme ? Son amitié me suffit et, comme je l’ai dit, je ne veux pas de sa compassion. Ce qui me hante c’est l’avenir de la librairie. Je n’ose l’imaginer laissée à l’abandon. Tous les trésors qu’elle contient ne peuvent être éparpillés au hasard. Je voudrais tant transmettre tour cela à quelqu’un ! Mais personne ne semble intéressé. Les jeunes préfèrent les e-books à mes bons vieux amis.
- Il n’empêche que je te
conseille vivement de réduire tes horaires d’ouverture. La fatigue que tu
ressens est autant due au traitement de la chimio et de la radiothérapie qu’au
fait que ton corps s’use. Ton cœur n’est plus celui de tes vingt ans. Le
dernier électrocardiogramme montre des phases d’irrégularité. Tu dois le
ménager !
- Tu n’as rien de mieux à me
dire ?
- Si et c’est maintenant l’ami qui te parle. Tu n’es pas tout seul. Tu peux compter sur moi. Que dirais-tu de passer une quinzaine de jours avec ma femme et moi dans notre maison de la Côte d’Opale, fin juillet ou début août ? Bon, je vois ton regard. Quinze jours loin de ta boutique c’est trop. Et bien viens au moins une semaine. Sache que c’est une prescription et que c’est le médecin qui la préconise. Ah, tu souris ! Cela me fait plaisir. Et puis Argos pourra courir à sa guise.
- Tu sais, Argos commence à se
faire vieux, comme moi. Il ne voit plus très bien et a parfois des crises d’arthrose.
Si je ne trouve personne pour s’occuper de lui lorsqu’il le faudra, le vétérinaire
l’euthanasiera. Argos est, comme moi, un vieux loup solitaire. Nous nous sommes
habitués l’un à l’autre mais nous sommes trop vieux pour refaire notre vie avec
quelqu’un.
- Bon pas de doute, ton moral
n’est vraiment pas bon. Tu ne cesses de dire « vieux ». Je ne vais
pas te prescrire un anti-dépresseur mais tu prendras quand même un léger anxiolytique. Tu dors bien ?
- J’ai régulièrement des
insomnies.
- Je te prescris également de la mélatonine. Cela t’aidera à t’endormir et améliorera la qualité de ton sommeil. Ce qu’il te faut aussi, même si c’est pour toi parfois difficile, c’est sortir, fréquenter des gens. Tu devrais te confier à Juliette mais je sais que tu ne le feras pas. Tu ne penses pas qu’en tant qu’amie elle a le droit de connaître ton état de santé ?
- Merci Louis. Je vais penser
à ta proposition pour les vacances. C’est très gentil. On verra.
- N’hésite pas à venir au
cabinet ou à m’appeler à n’importe quel moment.
- Bonne journée, Louis. Je ne
te retiens pas plus longtemps car ta salle d’attente est pleine et tes patients
vont s’impatienter, ce qui serait un comble.
Bonjour José,
RépondreSupprimerQue de choses sont dites entre les deux amis dans ce chapitre.
"Belle" description de la cruauté que vivent les ours passionnés comme Maxime. Dur, très dur de penser que tout sera éparpillé, ou pire, mis au pilon après avoir passé une vie à collectionner tant d'ouvrages dont certains traitent sans doute plus particulièrement d'un domaine d'élection...
Comme Maxime, je déplore déjà que ma collection, avec quelques raretés, consacrée aux ouvrages parlant de Bruxelles ne soit tout simplement pas mise à la poubelle car je n'ai pas d'héritier...
Beaucoup d'empathie aussi dans ce texte à l'amitié franche et respectueuse. Ce sont deux belles personnes, délicates et intelligentes.
J'apprécie aussi le changement de ton de ton écriture quand tu évoques "la" Jacqueline mystérieuse et cette virile mais tendre relation.
Je me demande si, pour terminer (encore deux textes après celui-ci, si je compte bien) ou plus tard pour relier (sic) le tout ensemble, il ne faudrait pas insister sur Louis, Juliette et Maxime en oubliant cette Jacqueline ou en ne l'invoquant que distraitement...
Une fois de plus, quel plaisir de te lire et de découvrir tes commentaires attentifs.
Bien à toi,
Jan.
j'ai dit Jacqueline, c'est de Myriam que je voulais parler ! Excuses !
SupprimerJan.
Cher Jan,
SupprimerMyriam n'était qu'un personnage secondaire en opposition avec Juliette, mettant les qualités de cette dernière en valeur. Sauf surprise, y compris pour moi, elle ne devrait plus reparaître.
Pour notre inspiration commune, comme l'on dit, les beaux esprits se rencontrent. Mais nous avons tous deux une personnalité propre qui nous permettra de mener nos récits à leur terme avec originalité.
Bonne journée,
José
Bonjour José,
RépondreSupprimerJe vais dévoiler quelque chose. Mon Charles-Henri tout comme ton Maxime, est atteint d’une tumeur au cerveau (cela apparaîtra dans mon dernier chapitre et je t’assure que c’est une coïncidence. Je l’avais décidé dès mon 1er texte). Enfin bref, cela n’empêche pas d’envisager une finalité différente. A voir.
Je comprends très bien que Maxime s’inquiète pour la collection de ses ouvrages, d’autant plus qu’il semble n’avoir aucune descendance. Mais peut-être qu’un amateur, connaissant sa situation médicale, se montrera intéressé par la reprise entière de cette belle collection ? Et pourquoi pas la commune qui pourrait ouvrir une salle spéciale de livres précieux à la bibliothèque ?
Et puis, il y a Argos. C’est une double peine : José va mourir (sa tumeur est inopérable d’après Louis) et il va devoir se séparer de son vieil ami, le chien avec lequel il partage sa vie depuis longtemps. Dur.
Une fin de vie évoquée par Louis qui est en parfaite empathie avec Maxime. Une belle amitié, sincère et franche.
Bravo. Au plaisir de lire la suite de cette aventure.
Cordialement, Christian
Cher Christian,
SupprimerJe ne vais pas mourir du moins prochainement, j'espère. Mais comme pour chacun mon tour viendra un jour. ;-)
ps: D'après une étude qui semble sérieuse, la majorité - environ 80% - des jeunes préfèrent encore le livre papier.
RépondreSupprimerBonjour José,
RépondreSupprimerQuel magnifique texte d'amitié, de sincérité et de partage. Tout ce que tu évoques avec pudeur et délicatesse ne peut que toucher: la maladie, la solitude, la dispersion du travail et de la passion d'une vie. Pfouh ! Cela étant, je me demande si la solution et le réconfort ne viendraient quand même pas de Juliette et de sa créativité.
Impatiente de lire la suite. Amicalement.
Andrée
Oui, je vois, j'ai fait un curieux lapsus. Désolé . Je te souhaite une belle et longue vie. Cordialement, Christian
RépondreSupprimerBonjour José,
RépondreSupprimerComme souvent avec toi un texte magnifique qui relate le partage des difficultés tout en n'oubliant pas l'amitié des deux personnages.
Je me demande ce que le miroir aurait pensé de cette conversation entre Maxime et Louis...
Dommage que Maxime ne soit pas plus ouvert vis à vis de Juliette en prenant pour prétexte leur différence d'âge.
J'attends la suite avec impatience.
Bien à toi,
Michel.
Bonjour, José,
RépondreSupprimerJe viens de découvrir ton texte : Quel coup de poing!
Vraiment. Je reste scotchée.
Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre un rebondissement aussi inattendu et violent dans un texte du blog.
Au diagnostic médical irrévocable viennent s’ajouter le sentiment d’impuissance et le chagrin des séparations, des abandons.
Une tristesse d’autant plus forte qu’elle est teintée de grande pudeur et d’amitié.
Je ne puis dire qu’une chose, José, c’est que tu nous offres là un moment d’une grande densité. Et pour qualifier le style : retenue, sensibilité, simplicité.
Des suggestions pour la suite?… Incapable!
Amicalement,
Micheline.
Bonjour José,
RépondreSupprimerTu es très dur avec ton personnage : une tumeur inopérable, c’est violent. Ceci dit, le dialogue sonne juste. Il reflète habilement la personnalité de Louis, incapable de partager sa souffrance, incapable d’envisager d’être à charge, d’être objet de pitié. Son médecin a raison de parler de dépression, mais c’est, hélas, une dépression suscitée par une prise de conscience lucide. Au moins, en la personne de Maxime, Louis a aussi un ami. Il est peu probable qu’il accepte de partager les vacances mais le plus important pour lui, comme pour la cohérence de ta nouvelle, c’est de prévoir l’avenir de la librairie et aussi d’Argos.
Les réactions de Christian, notamment, prouvent à quel point tu évoques les problèmes avec vraisemblance.
Comme dans le texte précédent, tu évoques un fait de société très important : la confrontation à une maladie incurable et ton dialogue pose clairement le problème sans tomber dans l’explicatif. Tu n’expliques pas, tu fais partager l’émotion. Ton texte bouleverse les lecteurs par sa lucidité et la sobriété de l’expression. D’accord avec Micheline : un coup de poing,
Dans ton sixième texte, sous le signe du jaune, un livre ou un document viendra en aide à Louis. Mais attention il ne s’agit pas encore d’un dénouement, et surtout pas avec « deus ex machina » quoique… cela resterait ton choix.
Bon travail,
Liliane