Il fait un temps à déprimer aujourd’hui. En fait nous avons de la pluie et un vent glacial depuis plus d’une semaine.
Tiens, voilà Juliette !
Avec elle s’engouffre une bourrasque de vent et un nuage de gouttelettes.
« - Bonjour mon lapin !
Je sais, je ne ressemble pas à Aphrodite marchant sur l’écume des vagues. On pourrait plutôt me
prendre pour Ophélie. J’ai même de l’herbe accrochée à mes bottes. Rassure-toi,
je ne vais pas saloper ta boutique. J’accroche tout de suite mon ciré à ton
joli porte-manteau. Je l’adore ; si un jour tu le vends, pense à moi !
- Bonjour Juliette ! Quel
bon vent t’amène ? Enfin l’expression n’est pas de mise aujourd’hui. Mon
humeur est à l’unisson du temps, sombre. Il n’y a pas un chat. Les ventes sont
au plus bas. Déjà qu’habituellement ce n’est pas une bonne période. Même le
week-end les chalands se font rares.
- Justement, je suis passée te
dire que Victor fermera sa boutique à la fin de l’année. Tu le savais ?
Cela te fera un concurrent de moins et tu pourras peut-être lui acheter à bon
prix une partie de son stock.
- J’en doute. Lui s’est
spécialisé dans le policier, la science-fiction et le fantastique qui ne sont
pas vraiment mes domaines de prédilection. Qui plus est, un commerce de moins
ne favorise pas l’attractivité de la commune. Toi, tu n’es pas ici depuis
longtemps. Avant il y avait plein de boutiques. C’était vivant. Mais les gens
lisent moins et nous avons la concurrence d’Amazon et de sites comme Momox. Je
ne sais pas combien de temps nous, les derniers des Mohicans, pourrons tenir.
- Pour moi, les affaires fluctuent
très fort. Á certains moments je dois courir en tous sens et à d’autres, comme
maintenant, c’est mort, le désert. Je ne sais jamais si je dois prévoir des
cakes et des scones ou pas. Je me demande si je ne vais pas me contenter de
vendre et servir du thé. La papeterie, elle, marche pas mal, sans doute parce
que je connais des artisans qui confectionnent des produits originaux et de qualité.
- Ce qui me désole, vois-tu, c’est
que l’office du tourisme ne soit pas plus actif. Et c’est la même chose pour l’association
des commerçants. Du coup on ne parle plus de Redu et la fréquentation s’en
ressent. Un jour il faudra bien que je me retire mais je ne me vois pas mettre
la clé sous le paillasson. J’aimerais remettre la boutique à un jeune motivé
qui se sera formé à mes côtés. Je doute parfois que cela se produise.
- Tiens, tu as oublié un
chiffon près du miroir ! Ce n’est pas très joli.
- Je ne sais pas pourquoi mais,
depuis quelques jours, il devient par moment un peu opaque. Je pensais que c’était
de la poussière ou un peu d’humidité, mais non. Mon chiffon reste propre et
sec. Le miroir redevient transparent puis se trouble à nouveau. Je n’y
comprends rien. C’est comme si, par moment, la lumière y était absorbée.
- Oui, c’est bizarre. Mon
lapin, tu n’as pas très bonne mine. Tu as vu récemment un médecin ?
- Je dois passer bientôt chez
Louis. Il me vaccinera contre la grippe et la covid. C’est un ami ; je lui demanderai de m'ausculter et de me dire si tout va bien.
- Et comment va Argos ?
- Il est comme moi, déprimé.
Lui qui aime tant se balader demande vite à rentrer. Il n’aime pas être mouillé.
- Bises, mon lapin. Je file.
Ce n’est pas qu’on m’attende mais on ne sait jamais.
- Á bientôt, Juliette !